La marche exploratoire, également appelée balade urbaine ou diagnostic en marchant est une démarche participative qui permet d’identifier les particularités et les enjeux d’un lieu. Ces temps collectifs sont aussi un moyen d'émancipation et de mobilisation, en permettant aux participants d'acquérir et de développer les clés d'un regard critique sur les espaces traversés.
En marchant, les participants perçoivent la ville physiquement : le corps se déplace et permet de découvrir et de comprendre les réalités de l'espace choisi grâce à des expériences directes et sensorielles – surtout visuelles et auditives.
Chaque personne est invitée à faire part de ses commentaires et de ses impressions de manière spontanée. Les discussions entre les participants sont également encouragées. Les échanges tendent à briser les dynamiques de groupe prédominantes et contribuent à réduire l'espace occupé par les participants qui prennent le dessus et à favoriser la prise de parole des personnes qui en ont moins l'habitude.
Parmi les éléments de réussite, les promenades permettent le renforcement du pouvoir collectif et individuel des habitants souvent éloignés des formes classiques de participation. En prenant conscience de leur place et de leur rôle dans les institutions locales, cela les amène à vouloir s'impliquer davantage dans la vie locale.
Pour les acteurs décisionnaires, ces marches constituent un bon moyen de s'immerger dans la réalité de leur territoire et de prendre conscience tant des personnes concernées que de l'impact de leurs décisions.
Cela peut être un moyen de lutter contre la problématique du décalage entre les institutions et les réalités de vie.
Les promenades permettent d'enclencher une dynamique positive auprès des différents acteurs impliqués dans l'organisation.
Les balades peuvent être complétées par d'autres éléments, dont la sélection dépend du public participant et qui sont adaptés en fonction du parcours : par exemple, s'il s'agit de personnes qui ne connaissent pas le site, il peut être utile de fournir des informations de base, le contexte historique, social ou encore politique du lieu. Il peut être intéressant de les informer sur les éléments qui ont par le passé fait l’objet de tension, ou encore leur raconter les dynamiques de transitions souhaitées à plus long terme.
Les marches doivent faire l’objet d’un protocole d’observation bien ficelé, qui s’appuie principalement sur l’approche comportementale et le design d’interaction, que nous appelons encore design UX (design de l’expérience des usagers).
Le protocole d’observation (et/ou d’exploration) vise à attirer le regard des personnes sur des éléments et des thèmes qui passent souvent inaperçus lors de promenades quotidiennes. Cela permet ainsi d'adopter différentes perspectives - perçues de manière sensible et pas seulement de manière intellectuelle - et fait de ce dispositif un outil précieux sur de nombreuses questions (accessibilité, sécurité, sentiment d’appartenance, relation à l’espace public, espaces d’interaction publics…).
Afin de cadrer le diagnostic et d'orienter le regard vers des thèmes concrets, il est utile de mettre à disposition des outils tels qu'un cahier d'enquête ou un protocole d'observation qui définissent les points à explorer.
Ils peuvent varier en fonction des paramètres choisis, ou des caractéristiques du quartier ou du groupe. Ces thèmes englobent par exemple : la propreté, les équipements, les points de repère et la signalisation, l'éclairage, la sécurité ou la convivialité.
Parcourir les quartiers avec une perspective féminine
En tant qu'instrument d'activisme urbain, les marches exploratoires peuvent également mettre en lumière les problèmes et les préoccupations spécifiques de certaines catégories de citoyens dans l'espace public, tels que la population féminine. Ce dispositif a été développé au Canada en 1989 par le Comité d'action de la région métropolitaine de Toronto contre la violence faite aux femmes et aux enfants (METRAC).
L'appropriation de l'espace public reste un enjeu toujours critique pour les femmes, tant en termes de sécurité au quotidien qu'en raison de la longue séparation historique entre espace public et espace privé, associant généralement l'espace public aux hommes et l'espace privé aux femmes. Il en résulte que les hommes ont longtemps dominé les professions liées à l'aménagement des lieux publics comme à la prise de décision politique, ce qui a systématiquement invisibilisé la perspective féminine.
Face à cette absence fréquente des femmes dans la planification urbaine, aboutissant à la création d'espaces publics pensés pour et par les hommes, les marches exploratoires sont un outil de recherche-action participative permettant de prendre en compte l'expérience et l'expertise des femmes dans la conception des espaces publics.
Comme déjà mentionné, l'outil de la marche exploratoire vise à écouter les personnes dont la parole n'est souvent pas prise en compte. L'idée est de mieux comprendre la perception féminine de l'espace urbain. Cette démarche participative et sensible permet ainsi de mettre à jour les pratiques d'évitement, de recueillir des revendications en matière de sécurité, d’éclairage, d'accessibilité, etc… Plus qu’un dispositif de diagnostic, les balades permettent d’offrir un espace de parole propice à la proposition de solutions.
Dans les quartiers politique de la ville, ce type d’outil offre un réel espace d’expression à des femmes qui peuvent être confinées dans des cadres restreints (la famille, la communauté socio-culturelle ou religieuse). Les marches collectives avec d’autres habitantes permettent d’ouvrir les femmes sur la cité, de leur permettre de trouver un espace d’échange libre. Pour la communauté concernée, il s'agit jusqu’à
aussi de se réapproprier l'espace public, parfois confisqué par certains groupes.
Actualité : Les Balades de Jane
Les promenades de Jane sont organisées gratuitement le premier week-end de mai dans plus de 500 villes à travers le monde. Inspiré de l'héritage de l’urbaniste, activiste et écrivaine Jane Jacobs, c’est un événement qui vise à encourager les citoyens à échanger sur leur quartier, à mieux le connaître et à s'y impliquer en organisant et/ou en participant à des promenades et aux échanges qui en découlent.
Jane Jacobs a défendu une approche communautaire de la construction des villes, en plaçant la marche au cœur des déplacements urbains, et valorisant l'expertise des citoyens, l'histoire et la symbolique des lieux. De plus, en faisant de la marche un acte collectif, elle stimule la mobilisation et la mise en réseau de la communauté.
Après son décès en 2006, un groupe d'amis décida d'organiser une promenade à Toronto afin de rendre hommage à ses idées et à son héritage. Le mouvement a pris de l'ampleur et des promenades sont aujourd'hui organisées chaque année sur des thématiques variées telles que l'histoire des quartiers, la nature en ville, l'espace public, la diversité culturelle…